I· Un présent détourné

> 1· Le cinéma de science-fiction comme subterfuge fictif

3 MIDAL Alexandra, « Un futur sans avenir », Fiction & anticipation, étapes :, no218, mars-avril 2014, p. 134.

4 BAUDOU Jacques, « Naissance et définition d’un genre », in la Science-fiction, Paris, Presses Universitaires de France, février 2003, p. 3.

5 BROOKER CharlieMiroir noir (Black Mirror), Royaume-Uni, Channel 4, 2011-2019, 5 saisons, 22 épisodes.

De prime abord, la SF et le design sont liés par un même intérêt pour le futur. En effet, le terme « design » viendrait de l’italien « progettare » qui signifie littéralement « se projeter dans un temps futur 3. ». Par essence, le genre SF utilise « le biais de la fiction pour spéculer sur le futur 4. ». Autrement dit, il élabore une idée de l’avenir. En usant du pouvoir de l’imaginaire, ces deux domaines parviennent à modeler le réel. La fiction devient un outil qui permet de s’exprimer de manière détournée. En effet, les réalisateurs et les designers de SF usent de la fiction pour transmettre subtilement leurs idées. La série Black Mirror 5 entrevoit des visions de l’avenir technologique qui pourraient plonger n’importe quel spectateur dans une angoisse profonde. Pour autant, celui-ci est séduit par le voile enjoliveur de la fiction. De ce fait, la science-fiction nous donne à voir des temporalités éloignées, autrement dit plus acceptables.

> 2· Une critique technologique du présent

  fig.2  OKUDA Michael, « Okudagramme », in Star Trek : The Next Generation, 1987.

En réalité, ces perceptions de l’avenir technologique reflètent les préoccupations contemporaines. En 1860, dans son roman intitulé Paris au xxe siècle 6, Jules VERNE peint le portrait d’un monde entièrement connecté. Grâce à l’étude constante des recherches scientifiques de son époque, il parvient à imaginer ce futur dans un monde où l’on se meut encore à cheval. La SF est ainsi un écho des avancées du présent, tout en étant une source d’innovations pour le devenir de la civilisation. En ce sens, au cinéma, les GUI de la série Star Trek : The Next Generation 7, baptisées «  Okudagramme » [fig. 2], ont influencé les interfaces du XXIe siècle. Nous retrouvons notamment des boutons aux formes allongées et arrondies, des teintes acidulées en aplat sur fond noir, ainsi que la mise en place de fenêtres et d’onglets.

6 VERNE Jules, « Aperçu général des rues de Paris », in Paris au xxe siècle, Paris, Hachette, 2002 (1996), p. 16-22.

7 RODDENBERRY GeneStar Trek : La Nouvelle Génération (Stark Trek : The Next Generation), États-Unis, Syndication, 1987-1994, 7 saisons, 178 épisodes.

8 KALOGRIDIS LaetaCarbone modifié (Altered Carbon), États-Unis, Skydance Media, 2018-2020, 2 saisons, 18 épisodes.

UN REGARD BIENVEILLANT EN LA CAPACITÉ DE L’HOMME

Par ailleurs, derrière ces allusions détournées du présent, les réalisateurs dissimulent des critiques sur les progrès technologiques, menant immanquablement le spectateur à réfléchir. Entre dystopie et atmosphère cyberpunk, la série Altered Carbon 8 est une mise en garde contre les risques du mauvais usage de la technologie, tels que l’accentuation des inégalités sociales, la pollution digitale, le consumérisme… Le designer Guy HANOCK traduit cela par un environnement hyper-connecté : des interfaces en trois dimensions anxiogènes et envahissantes, à la fois physiquement et graphiquement. Les GUI publicitaires comprennent pléthore d’informations visuelles et de couleurs. Nonobstant, la réalisatrice Laeta KALOGRIDIS souligne la vocation d’alerte de cette série qui adresse un regard bienveillant en la capacité de l’Homme à mettre en place un usage optimiste des interfaces. De ce fait, les interfaces de SF sont au cœur des réflexions du présent engagées dans les craintes et les espoirs de l’avenir technologique. Cependant, pour créer le graphisme du futur, il semble pertinent d’envisager une rupture avec le présent, un « ailleurs ».