> 1· Des interfaces du futur créées sans association au présent…


9 WACHOWSKI Lana, la Matrice : Résurrections (Matrix Resurrections), États-Unis, NPV Entertainment, 2021, 148 minutes.
10 OSHII Mamoru, Ghost in the shell, Japon, Metropolitan Films, 1995, 82 minutes.
11 La « Matrice » est un univers virtuel façonné et contrôlé par des machines, dans lequel les êtres humains sont exploités.
12 KOSINSKI Joseph, Tron : L’héritage (Tron : Legacy), États-Unis, Walt Disney Pictures, 2010, 125 minutes.
À partir des scripts des réalisateurs de SF — à l’aide de mots — les designers d’interfaces doivent créer un univers graphique futuriste. Cela implique de s’éloigner des codes graphiques actuels, afin de transporter le spectateur dans un autre monde. Nous le constatons dans Matrix Resurrections 9 inspiré de l’animé Ghost in the shell 10 où le spectateur perd tous ses repères. Les interfaces qui matérialisent la « Matrice 11 » [fig. 3] sont composées de pluies de données verticales, où la lisibilité est amoindrie par une typographie numérique verte en contraste avec l’écran noir. Nos habitudes de lecture des informations visuelles en sont bouleversées. C’est ainsi que cette mise à distance du réel ouvre le champ des possibles des imaginaires. En effet, l’UI designer, Joseph CHAN, a pour philosophie de concevoir sans se préoccuper des contraintes technologiques et graphiques actuelles. C’est pourquoi dans le film Tron : Legacy 12, il ne lésine pas sur les GUI [fig. 4] en trois dimensions palpables représentées sous forme d’hologrammes interactifs. Les interfaces, aux supports imprévisibles, se déploient dans un monde éloigné du réel, où l’espace géométrisé est révélé par un jeu d’intensité lumineuse.
> 2· …au risque d’étrangetés


En revanche, une esthétique entièrement déconnectée du présent peut entraîner certaines dérives cinématographiques. Les GUI poussées à leur paroxysme tendent vers une vocation spectaculaire plus que fonctionnelle. Lorsque nous découvrons les interfaces [fig. 5] du blockbuster Guardians of the Galaxy 13, celles-ci sont surchargées d’informations et d’effets visuels. Nous pouvons interroger la pertinence de ces représentations caricaturales de données. Par conséquent, les interfaces du cinéma de SF perdent leur fonction de guide au profit d’effets théâtraux. Du point de vue d’un UX designer d’aujourd’hui, elles contiennent des extravagances en matière d’ergonomie et un cruel manque d’affordance 14.
13 GUNN James, les Gardiens de la Galaxie (Guardians of the Galaxy), États-Unis, Marvel Studios, 2014, 121 minutes.
14 Le principe d’affordance désigne le caractère abordable de l’interface, l’accessibilité, pour tous les utilisateurs.
15 SPIELBERG Steven, Rapport Minoritaire (Minority Report), États-Unis, 20th Century Fox, 2002, 145 minutes.
CETTE MISE À DISTANCE DU RÉEL OUVRE LE CHAMPS DES POSSIBLES DES IMAGINAIRES
Pour autant, ces conceptions qui nous semblent actuellement étranges deviendront peut-être des normes instinctives. De surcroît, l’anticipation des réalisateurs et des designers semblent s’apparenter à des spéculations, plus qu’à des hypothèses établies sur des faits. Il suffit de s’intéresser au film Minority Report15 de Steven Spielberg. Celui-ci met en scène des interfaces graphiques chronologiques en HUD (affichage sur écran transparent) [fig. 6] qui permettent de visualiser les pensées de « précogs », médiums humains prédisant les crimes à venir. Cela paraît impossible à réaliser, lorsque l’on se réfère aux capacités technologiques, ainsi que d’un point de vue juridique. De ce fait, en franchissant la frontière entre réel et irréel, les visions du devenir des interfaces se rapprochent de prouesses graphiques récréatives, plus que d’une volonté de lisibilité. C’est pourquoi il est nécessaire pour les réalisateurs et designers d’interfaces SF de se rapprocher du réalisable.